Photo Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun - Cr. tvN

Critique : Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun, une série flamboyante et politique

Entre épopée fantastique et saga politique, Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun surpasse la saison précédente et doit son envergure à son univers foisonnant, sa réalisation classieuse et ses personnages charismatiques campés par une distribution solide.

Il avait fallu sept ans aux scénaristes Kim Young Hyun et Park Sang Yeon pour donner vie à Arthdal Chronicles, série de fantasy sortie à l’été 2019 sur tvN et Netflix. Il en a fallu quatre de plus pour voir émerger la suite, Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun, dont le tournage fut retardé par la pandémie du COVID-19 et dont la diffusion a finalement eu lieu à l’automne 2023. Outre l’acquisition des droits internationaux de cette saison 2 par Disney+, quelques modifications interviennent au générique. Derrière la caméra, le réalisateur Kim Won Suk laisse la place à son confrère Kim Kwang Sik (The Great Battle). Devant la caméra, Song Joong Ki et Kim Ji Won quittent la série, tandis que Lee Joon Gi (Again My Life) et Shin Sae Kyung (L’Intrigante et le roi) reprennent le flambeau pour tenir les rôles principaux. Des changements qui ne nuisent en rien à Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun, qui s’avère en tous points supérieur à la saison précédente.

Arthdal, huit ans après

Huit ans après son couronnement, Tagon (Jang Dong Gun), autoproclamé réincarnation du dieu Aramun, règne sur le royaume d’Arthdal avec Taealha (Kim Ok Vin), qui élève leur fils. De son côté, Tanya (Shin Sae Kyung) s’est imposée comme grande prêtresse et exerce un contre-pouvoir spirituel face à la tyrannie du couple royal. Pendant ce temps, Eunseom (Lee Joon Gi) est reconnu comme la réincarnation du dieu Inaishingi par les tribus rebelles et lève une armée dans l’intention de prendre d’assaut Arthdal. Pour écraser toute résistance, Tagon envoie une unité conduite par Saya (Lee Joon Gi).

Rappelons que l’histoire se déroule sur les terres légendaires d’Arth, un monde féodal imaginé par les scénaristes Kim Young Hyun et Park Sang Yeon (Six Flying Dragons). Lors de sa sortie, Arthdal Chronicles est le tout premier drama coréen à explorer le genre de la fantasy, qui se caractérise par la création d’un monde imaginaire médiéval avec sa propre géographie, sa propre histoire et ses références culturelles, le tout saupoudré de magie. Plus précisément, Arthdal Chronicles appartient, comme les romans Le Trône de Fer (George R. R. Martin) et L’Assassin Royal (Robin Hobb), au sous-genre de la « fantasy dynastique », qui se caractérise par une histoire centrée sur les complots politiques et par des personnages moralement ambigus. L’autre série coréenne de fantasy, Alchemy of Souls, se rapproche davantage de l’« heroic fantasy », qui relate le parcours initiatique d’un héros au cœur pur.

Production de luxe, Arthdal Chronicles déployait un univers dense peuplé d’un nombre incalculable de personnages, de clans et de lieux. Compte tenu de l’effort de mémoire exigé du spectateur, la série mettait du temps à trouver son rythme et paraissait un peu froide au premier abord, mais la persévérance s’avérait payante sur la durée. Entre drama d’aventures et thriller de palais, la série tissait une intrigue complexe et prenante sur fond de prophétie.

Les rapports de domination entre les peuples étaient au cœur de cette saga centrée sur la conquête de tribus archaïques par un royaume tout puissant et techniquement plus avancé. Arthdal Chronicles explorait aussi le thème du racisme à travers le génocide des Néanthals, êtres surhumains au sang bleu, et la condition des Igutus, métisses Néanthals/humains obligés de se camoufler pour survivre. En somme, Arthdal Chronicles racontait la genèse d’une nation, avec son système, ses croyances, ses déviances et ses conflits de valeurs.

Batailles rangées

Pour la saison 2, les créateurs de la série ont mis les bouchées doubles pour convaincre le spectateur de s’immerger de nouveau dans leur monde imaginaire. Les scénaristes manifestent dès le démarrage une volonté de rendre le contexte plus limpide. Les informations clés et les personnages nous sont ainsi réintroduits petit à petit, un travail de clarification qui porte ses fruits puisque l’on s’implique sans difficulté dans l’histoire, aidés en cela par une narration davantage centrée sur les émotions des personnages.

La direction des costumes revoit également sa copie s’agissant des tribus rebelles : aux costumes kitsch de la saison 1 succèdent des designs dont les textures et les couleurs sont travaillés dans le détail, conférant à chaque personnage une allure qui reflète la mentalité de sa tribu.

Le réalisateur Kim Kwang Sik apporte à Arthdal Chronicles 2 une tonalité plus réaliste à travers le choix d’une palette de couleurs plus froides, mais aussi une ampleur nouvelle à la série. Le choix d’un metteur en scène expérimenté dans les scènes de bataille s’avère profitable : non seulement les affrontements guerriers offrent des prises de vue spectaculaires et visuellement irréprochables, mais ils sont portés par une véritable dramaturgie de la bataille – c’était également l’atout du film The Great Battle. Dans le dernier tiers de la série, notamment, on a plaisir à découvrir les tactiques de guerre, dont les ressorts nous sont dévoilés peu à peu, et les rapports de force changeants entre les deux camps. L’ensemble est sublimé par une bande son lyrique qui accentue la dimension héroïque du récit.

On relèvera quelques emprunts au Seigneur des Anneaux (Peter Jackson), notamment lorsqu’Eunseom, porté par le cheval légendaire Kanmoreu, charge l’ennemi avec une armée de cavaliers, à l’image de Gandalf avec les cavaliers de Rohan dans Les Deux Tours. Ces inspirations n’enlèvent rien à la beauté indéniable de ces scènes, qui se soldent par des mêlées d’affrontements individuels savamment chorégraphiées. Ces combats terre à terre sont également l’occasion de profiter des talents d’artiste martial de Lee Joon Gi, qui demeure l’un des meilleurs acteurs d’action en Corée.

Jeux de pouvoir et influence du sacré

En parallèle de l’affrontement militaire, dont l’enjeu est de mettre un terme à la tyrannie colonialiste d’Arthdal (pour rappel, la saison 1 débutait par la mise en esclavage des Wahans), Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun déploie une intrigue politique à rebondissements autour du trône convoité de Tagon. Rappelons que la conquête du pouvoir par ce dernier repose sur un double mensonge, puisqu’il cache sa condition d’Igutu et se fait passer pour la réincarnation d’Aramun.

Par rapport à la saison 1, les complots perdent légèrement en complexité mais s’avèrent tout aussi cruels et encore plus passionnants à suivre. Le plaisir du spectateur tient à une écriture plus maîtrisée, qui sait exactement à quel moment amener les retournements de situation, non sans avoir au préalable fait grimper le suspense à la faveur de moments de tension psychologique entre les personnages. Les alliances se font et se défont au palais d’Arthdal, un peu comme dans le monde politique que nous connaissons, où l’allié d’un jour peut devenir l’ennemi mortel du lendemain.

Arme redoutable pour contrôler les masses, la religion, ou tout ce qui a trait au sacré, a bien entendu son rôle à jouer dans ces jeux de manipulation qui nécessitent un parfait contrôle du timing. En témoigne ce moment saisissant où Tanya parvient à renverser le regard que la population porte sur les Igutus, un coup de poker dont le succès réside dans l’emprise qu’elle exerce sur les foules, mais aussi dans le choix du moment pour imposer le décret spirituel qu’elle vient d’inventer.

Les complots orchestrés dans Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun constituent aussi l’occasion d’observer l’effet du pouvoir sur les individus, qui se transforment inéluctablement à son contact. A commencer par Tagon, dont la noirceur se révèle à mesure qu’il s’isole de son entourage. Postures voûtées, regard fou, voix puissante mais écorchée, l’acteur Jang Dong Gun (Suits) fait de Tagon un despote tour à tour effrayant et pathétique dans son délire paranoïaque et narcissique.

Au contraire, la reine Taealha, à qui l’actrice Kim Ok Vin (Love to Hate You) apporte un mélange d’autorité et de dignité malgré les choix moralement discutables du personnage, sait s’entourer de personnes dévouées et garder la tête sur les épaules, ce qui lui permet de poursuivre ses objectifs avec le pragmatisme froid qui la caractérise.

Quant à Tanya, elle reste fidèle à ses principes, mais devient peu à peu insensible aux émotions des autres – sa réaction lorsque Yangcha (Ki Do Hoon) lui raconte son histoire est perturbante. Avec son visage angélique et sa voix solennelle, Shin Sae Kyung (L’Intrigante et le roi) s’avère un choix judicieux pour interpréter la grande « Niruha », qui a gagné en maturité et en charisme depuis la saison 1, mais a renoncé à son innocence pour s’imposer dans ce monde où le pouvoir est éphémère et où la survie ne tient qu’à un fil. Tanya et Taealha s’affrontent d’ailleurs sur le terrain politique au travers d’une scène forte où elles énoncent simultanément un discours devant le peuple d’Arthdal, révélant ainsi le conflit idéologique qui les oppose sur le sens même d’une nation.

Enfin, Eunseom est celui qui se laisse le moins déformer par le pouvoir. Epaulé d’une bande d’amis fidèles, il cultive l’esprit de camaraderie au sein de son groupe et garde une grande simplicité dans ses rapports avec les autres. D’ailleurs, si son armée est principalement masculine, les quelques femmes du groupe sont écoutées au même titre que les hommes lors des conseils de guerre. Cette intégration des femmes s’oppose à la culture résolument patriarcale d’Arthdal, qui repose sur un esprit militaire et où même une reine tyrannique comme Taealha peut être mise en confinement du jour au lendemain sur un caprice de son roi.

Lee Joon Gi, atout de la série

La performance de Lee Joon Gi, qui maîtrise à la perfection le registre du drama en costume (son interprétation dans Moon Lovers a laissé une empreinte durable), s’impose comme l’un des gros points forts de la série, au point de nous faire quasiment oublier son prédécesseur Song Joong Ki. Avec sa présence exceptionnelle et son regard intense, il prend possession du personnage d’Eunseom pour lui apporter beaucoup plus de relief et un soupçon de rage bien dosé, tout en préservant la dimension émotionnelle du héros.

Photo Lee Joon Gi (Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun)

Son jeu fait aussi des étincelles dans les face-à-face conflictuels entre Eunseom et Saya, le « benetbeot » en pleine crise existentielle qui navigue constamment entre égoïsme pur et désir de rédemption. Leur dispute dans la forêt est l’un des moments de bravoure de Lee Joon Gi : l’illusion d’avoir affaire à deux individus animés par des conflits intérieurs différents est parfaite. L’acteur excelle tout autant lorsque, par un hasard du destin, chacun doit prendre la place de l’autre et jouer son rôle, un rebondissement intéressant qui fait sensiblement évoluer les deux jumeaux.

Parmi la multitude de personnages secondaires de la série, que la narration parvient à mettre en valeur sans perdre le spectateur, on apprécie notamment Ki Do Hoon (Queenmaker) dans le rôle du dévoué Yangcha, Eum Moon Suk (Duty After School) en guerrier Momo sympathiquement déjanté et Lee Si Woo (My Lovely Liar) dans le rôle de Nunbyeol, la Néanthal au visage enfantin mais aux capacités physiques redoutables.

Au milieu de ce tourbillon de complots, de trahisons et d’amitiés, le mystère est entretenu sur la véritable identité de la réincarnation d’Aramun. Du moins pendant une partie d’Arthdal Chronicles 2, car les scénaristes choisissent de donner la réponse à mi-chemin, au cours d’une scène empruntant directement à la légende d’Excalibur. Dès lors, la série pose une autre question : l’élu peut-il réellement prendre sa stature de divinité si personne ne le reconnaît comme tel ? Dès lors qu’un imposteur prend sa place, quelle légitimité a le véritable Aramun ? On ne nait pas dieu, on le devient. Et cela passe entre autres par la reconnaissance d’un peuple, nous dit Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun. Que l’on soit croyant ou athée, voilà qui donne à réfléchir.

Arthdal Chronicles: The Sword of Aramun était diffusé du 9 septembre au 22 octobre 2023 sur tvN et arrivera prochainement – on l’espère – sur Disney Plus.

Elodie Leroy

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